Le chanteur du New Jersey peut ainsi relever des pancartes portant le titre de la chanson que le spectateur souhaiterait entendre. Et, parfois, Springsteen s'exécute. Du jamais vu. David Bowie ou Elvis Costello ont laissé le hasard s'immiscer dans leur programme en installant sur scène des roues de la chance avec leurs chansons numérotées. Là, c'est spontané, et les fans, apparemment, se sont donné le mot : pour sa tournée d'été, Springsteen joue à la demande, à la carte ou plutôt à la pancarte. A l'arrivée, cela donne près de trois heures de concert, avec pas moins de 28 titres. Le son, pénible, est compensé par une débauche d'énergie, ahurissante pour un homme de 58 ans, et une utilisation épatante de la vidéo (deux écrans verticaux), sous l'angle du reportage, qui renforce la sensation de proximité. Cet hiver, Springsteen et son fidèle E. Street Band, coiffés des bonnets rouges de Santa Claus, avaient réchauffé Paris-Bercy en une soirée de feu qui renouait avec la geste des tournées de la fin des années 1970. A l'époque, il défendait encore un dernier album décevant, Magic. Six mois plus tard, il n'en subsiste qu'une poignée d'extraits, dont une gâterie pop de circonstance, Girls in Their Summer Clothes, qui distille le parfum nostalgique des Beach Boys. Il préfère extraire des instantanés de sa carrière, qu'on pourra réviser en lisant le livre Bruce Frederick Springsteen, d'Hugues Barrière et Mikaël Ollivier (éd. Le Castor astral, 432 p., 24euros), paru la veille du concert. Réagir au quart de tour Curieusement, le musicien ouvre son tour de chant avec une de ses chansons les plus sombres, Adam Raised a Cain, soit l'incompréhension et le conflit entre père et fils, James Dean dans A l'est d'Eden. Mais rapidement, saison oblige, les filles, le désir, la passion prennent le dessus. La nuit nous appartient avec Rendez-Vous, Candy's Room, Janey Don't Lose Heart ou Fire. Autrement dit un bouquet de raretés, de quoi faire perdre la raison aux fans. Pour combler leurs desiderata, il faut évidemment un orchestre capable de réagir au quart de tour sur un répertoire de centaines de chansons. Le E. Street Band et ses huit membres, plus de trois décennies d'activité, est celui-là. On peine à en citer un autre dans le rock actuel, certainement pas les Rolling Stones. Parfois, cela donne un malentendu étonnant : le batteur, Max Weinberg, embraie après avoir mal lu la pancarte que lui tend son employeur. Celui-ci l'arrête : "Non, pas I'm on Fire : Fire." La confrérie du E. Street Band a été récemment endeuillée. L'organiste Danny Federici, un des premiers compagnons de Springsteen, a été emporté par un mélanome. Au stand des produits dérivés, sur un tee-shirt, on voit le disparu dans ses jeunes années en compagnie d'un garçon chevelu et peu épargné par l'acné. Un inconnu devenu le plus grand showman rock de son temps. |