Musique de nuit

00-08-1985 Best par François Ducray

Bon, moi, j'en rêvais nuit et jour. J'en étais tout ému, très nerveux : est-ce que ça va avoir lieu, bien se passer, sans déception par rapport à ….Drôles de questions pour un rocker, et une émotion peut-être un peu industrialisée ! Springsteen est devenu une telle institution, d'un tel gigantisme, et, forcément, d'un tel professionnalisme…
D'un autre côté, le snobisme verbeux de jazzophages honteux de " Libé " m'exaspérait trop pour qu'en plus de ce que j'allais y mettre de moi-même, je n'aie pas envie de voir, dans ces shows, une belle baffe à leur sottise autant qu'un regain de foi (pas juste en lui, banane, dans tout ce rock'n' roll-là que lui seul ose jouer à fond…)

Montpellier, stade Richter, 19 heures

Il a plu tout l'après-midi. Les quarante mille personnes qui peuplent l'arène (abandonnée du foot, reconvertie au rock en ce jour….) n'avaient visiblement pas prévu ces trombes. Mais ça ne sera qu'une douche généreuse : une heure avant le début du concert, ciel bleu, vapeurs, soleil. Hordes d'Espagnols, ribambelles d'Italiens, cavalcades marseillaises, bordelaises, toulousaines qui toutes braillent en respirant. A la minute dite et sans crier gare, Max Weinberg et Danny Federici martèlent l'intro gonflée de " Born In The USA ". Et Bruce tout de suite nous rentre dedans de plein fouet : " …. Had A Friend / at Khe San ".
Les quatre heures y seront, les vingt-sept titres aussi, des balades suantes de la première partie aux rocks fulgurants de la seconde. En rappel, un " Twist And Shout " phénoménal où il inclut tout ce qui lui passe par la tête, un couplet du " It's My Life " des Animals en particulier, pour signifier, s'il en était encore besoin, qu'il se plaît à (en) être là…. Fabuleux E Street Band, Big Man et Garry Tallent en tête , même si Nils Lofgren semble un peu perdu parmi ces très grands fauves…. Exit, donc, dans la plus totale, la plus dégagée des allégresses…

Saint-Etienne, stade Geoffroy Guichard, 19 heures

Deux jours plus tard. Sur la verte pelouse des Verts (elle très verte, eux déchus ….), à peine vingt-cinq mille spectateurs. Mais là, ce sont des fans, des durs, des vrais, des tatoués : les pingouins suiveurs, les ritals suiveurs, Lyonnais et Grenoblois en Doc Martens aiguisées et cuirs las.
Apparemment, ils ne seront pas déçus non plus ! Le Boss tient une forme à trancher les montagnes. Show presque identique, mais tâtez les nuances : plus de " Nebraska ", signe qu'il se sent à l'aise, en confiance, devant cette foule moins dense, au point de dédier un morceau à son show de Lyon en 81, effectivement l'idylle en ce qui concerne le public français !…
Un mot de la sono : jamais vu ça, entendu surtout ! De la Hi-Fi de masse ! Et sans être épaisse ni lourde : immense, quasi parfaite. Les échos fébriles de " Cover Me " en devenaient charnels et planétaires du même coup! Bref, entre Bruce et les rockers d'ici, pas d'équivoque : c'est la passion, bel et bien, et pour longtemps.

Parc de La Courneuve

My babe avait mis sa robe du dimanche et moi mon jean bien repassé. Cap sur North Highway : little girl, il fait beau, je t'amène à La Courneuve. En plein après-midi, plusieurs heures avant le concert, il y avait déjà foule devant les contrôles. Mais le service d'ordre était OK…. J'ai acheté deux pizzas, un Tshirt et le programme, et ma babe et moi, on est allés s'installer dans l'herbe. Derrière les kids jouaient au frisbee.
19h30. Une foule immense (60.000 ?, plus ?) retient son souffle. Sur la gauche de l'énorme scène, l'écran géant se met à clignoter. One.…two….. Brooooce ! Le Boss, Tshirt bleu, bottes cloutées et Telecaster en bandoulière, attaque " Born in the USA ", Vertige et émotion. La bannière des Etats-Unis flotte sur la fête de l'Huma (tout baigne : l'après-midi même, les otages américains ont été libérés !). 60000 kids frissonnants se prennent un instant, la glotte nouée, pour John-John à l'enterrement de Kennedy. L'assaut de la colline 102 du parc paysager vient de commencer. Il durera près de quatre heures, tout juste entrecoupé d'une trêve de trente minutes, histoire de souffler.
" Badlands ", " Cadillac Ranch ", " Out in the street ",…. La grosse machine de l'E Street Band tourne à plein rendement et déblaye les gravats autour d'un Boss princier, encadré par un Clarence Clemons tout de blanc vêtu, jouant des mécaniques, et d'un Nils Lofgren aux airs de chien fou (qui fait finalement oublier avec bonheur l'ami Van Zandt).Dans le champ, les vets reprennent les hymnes et s'époumonent. Giclée d'harmonica, intermède acoustique, " Johnny 99 ", "The River",… Sur l'écran géant, un paysage bucolique (la source de l'Hudson River au printemps ?) illumine le crépuscule. " My Hometown ", … et la tornade reprend avec un " Trapped " tendu comme une souricière ou un " Because the Night " à faire pâlir Patti. Entracte.
Le temps de siroter trois Buds et d'enfiler un perfecto, et le bulldozer redémarre en overdrive, au gré d'une sono absolument irréprochable (rien à voir avec la bouillie des messes Rolling Stones ou Bowie à Auteuil). " Cover Me ", " Dancing in the dark " (où une heureuse élue, extirpée de la foule, danse avec le Boss, tout en haut de la scène… avant de s'effondrer en larme), " Glory Days ", " Thunder Road ", " Born To Run ", … casquette vissée sur le crâne, visière en arrière, Springsteen le sprinter aborde le dernier col avec un gros braquet, pour finalement disparaître dans les derniers accords d'une longue version de " Twist and Shout " reprise en chœur dans la nuit noire. D'un bout à l'autre, le Boss a donné un show exemplaire, dans des conditions exemplaires !
Tard dans la nuit, me and my babe, on a longé les longues files de bus mobilisés par la RATP (pour une fois à la hauteur de l'événement !), vers les parkings ….avant de reprendre le North Highway, " 'cause summer's here and the time is right for racin' in the street ". Carrément !

Merci à Marc!

 
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