Critique Télérama

13-10-2007 Télérama par Hugo Cassavetti

Sacré Bruce. Chassez le naturel, il revient au triple galop. Ou plutôt, chez lui, c'est l'inverse. Dès que Springsteen laisse parler sa nature pro­fonde de baladin, de pur folksinger - comme l'an passé avec sa tournée roots consacrée au répertoire de Pete Seeger -, une force irrépressible le pousse à retrouver aussitôt l'accompagnement puissant, électrique, épique du E Street Band qui a fait sa renommée de plus grand performeur sur la scène rock. « Je veux du rythme », clame-t-il donc, d'emblée, sur Radio Nowhere, single rentre-dedans et tapageur comme il en a déjà écrit beaucoup. Efficace, certes, mais banal. On craint le syndrome de l'album « à la manière de », une tentative de renouer avec ses classiques passés (Born to run, Darkness on the edge of town ou Born in the USA) sans en retrouver la flamme mélodique. Et puis, dès le troisième ­titre, tout s'éclaire. Oui, le Boss fait du Bruce comme tant de ses imitateurs, mais personne ne le fait aussi bien que lui. Et le côté déjà-vu de l'irrésistible Livin'in the future (entre 10th Avenue Freeze Out et Cover me) ouvre les portes d'un disque qui parvient enfin à raviver le mariage si springsteenien d'une joyeuse emphase mélodique et orchestrale avec un sobre lyrisme d'éternel romantique, d'humaniste mélancolique.

D'un poignant I'll work for your love qui renvoie à la splendeur de Prove it all night à la sixties pop grandiloquente de Girls in their summer clothes, il évite la protest song frontale pour tisser ses récits d'amants en peine, de marginaux malgré eux, de faibles s'accrochant à des lueurs d'espoir ­face à une réalité toujours aussi noire. Bien sûr, Springsteen ne se cantonne pas au barouf et adoucit le tempo pour un charmant et léger Magic. Surtout, il ter­mine en beauté avec Devil's Arcade et son somptueux arrangement de cordes, générique de fin sur lequel, une fois de plus, il rappelle que seul le battement d'un coeur peut soulager de l'horreur d'une vie détruite ou perdue au fond d'un désert, ailleurs. Toujours le rythme, salvateur.

 
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