Le Boss : Il se plonge dans le folklore américain en revisitant les compositions du chanteur engagé Pete Seeger, Trip in the USA. Par Christophe Schenk.
Depuis le poignant Nebraska en 1982, on connaît le goût de Bruce Springsteen pour les territoires folk. Laissant de côté son blouson en jean et son bandana, le rocker américain se plaît parfois à débrancher les amplis pour empoigner sa guitare acoustique. Une démarche qu’il a pris l’habitude de répéter ces dernières années, avec The Ghost of Tom Joad ou le récent Devils & Dust.
Pourtant, rien ne laissait présager le virage radical qu’il prend aujourd’hui sur We Shall Overcome. En reprenant les chansons de Pete Seeger, le Boss plonge à nouveau dans l’univers folk mais, plutôt que d’y aller en solitaire, il choisit de s’entourer d’un orchestre composé de plus d’une dizaine de musiciens. Un voyage dans le folklore américain qui tient autant de l’hommage aux racines que de l’acte politique.
En effet, si Pete Seeger reste surtout connu en Europe pour des chansons comme Turn! Turn! Turn (popularisée par The Byrds) et If I Had a Hammer (reprise sous le titre Si j’avais un marteau par Claude François), il incarne une figure contestataire du folk aux Etats-Unis. Ainsi, il n’a jamais hésité à s’engager contre la guerre dans ses textes. Surtout, il s’est imposé comme l’un des principaux dénonciateurs du maccarthysme. Son engagement véhément lui a d’ailleurs valu d’être interdit de télévision et "blacklisté", et l’a conduit jusqu’en prison. Avec le climat politique qui règne là-bas, on comprend que Springsteen ait choisi de revenir vers Seeger.
Un choix qui étonne d’autant moins si l’on se rappelle les récentes prises de position du Boss. En 2001, il entonne son nouveau titre 41 Shots sur scène, malgré les menaces qu’il a reçues de la part de certains extrémistes. Dans cette chanson, il dénonce le meurtre d’un jeune Noir par des policiers new-yorkais. Mieux encore, en 2004 il s’embarque dans la tournée "Vote for Change" et devient l’un des principaux meneurs d’une campagne anti-Bush. Son titre No Surrender s’impose même comme l’hymne électoral de John Kerry.
Puissance nouvelle Pourtant, les textes de We Shall Overcome ne font pas dans le militantisme et s’apparentent plus à des histoires racontées, d’amour ou de grandes figures d’un Ouest mythique. Mais si les paroles ne résonnent pas comme un engagement politique, c’est musicalement que Springsteen et son orchestre folk se positionnent. Plutôt que de sombrer dans une country sudiste de pacotille, ils choisissent en effet de renouer avec les racines multiples de la musique populaire américaine. Pas de Nashville de carte postale donc, mais des sonorités irlandaises, klezmer ou gospel, qui donnent aux compositions de Seeger une puissance nouvelle. Ce dernier, historien de la musique folk américaine à ses heures, n’aurait sans doute pas renié ce parti pris. Entre ballades et ritournelles plus festives, Bruce Springsteen s’aventure dans un registre nouveau, où il se transforme en storyteller. Et même si elle n’atteint pas la profondeur d’un Nick Cave ou les déraillements d’un Tom Waits, sa voix de conteur fait merveille sur des ballades comme Erie Canal ou Eyes on the Prize, gagnant en expressivité, sans perdre l’intonation rauque qui a fait son succès.
L’émotion fonctionne à merveille sur ces titres au tempo ralenti, grâce encore au violon ou à l’accordéon. Et quand le rythme s’accélère, comme sur Old Dan Tucker ou Jesse James, l’orchestre à l’unisson transforme l’ambiance en bals propices aux danses de cow-boys. Mais là encore sans jamais oublier la force pluriculturelle du folklore américain.
Avec We Shall Overcome, Bruce Springsteen fait découvrir une nouvelle facette de son univers, quittant les rivages rock pour un retour aux sources inspiré. Une tendance qui semble particulièrement à la mode cette année. De Norah Jones – au sein de The Little Willies – à Mark Knopfler et Emmylou Harris – pour un duo original et inspiré, entre blues, rock et country – de nombreux musiciens américains s’offrent une virée folk. Et ce besoin de revenir aux racines tient sans doute moins d’un passéiste sentiment de nostalgie que d’une quête d’une identité américaine, en ces temps de repliement nationaliste. |