Working On A Dream

09-02-2009 Les Inrockuptibles par Serge Kaganski

Produit à la truelle, un album de Springsteen qui brille surtout par deux ballades sublimes et crépusculaires

Longtemps, il fallait se lever de bonne heure pour guetter le nouveau Springsteen. Le Boss suait sang et eau pour accoucher dans la durée et la douleur de splendeurs comme Born to Run ou The River. Aujourd’hui, il pond ses disques dans la facilité, quasiment à la cadence où l’on débite des burgers vers 13h dans un coffee-shop de Smalltown, America.

C’est dire si à la haute cuisine rock d’antan nourrie de toutes les grandes sources (Elvis, Dylan, Spector, mais aussi Nicholas Ray, John Ford, Flannery O’Connors...) a succédé aujourd’hui une nourriture plus générique, certes mangeable et bien faite, mais dénuée de ce zeste d’inspiration ou de singularité qui transforme l’ordinaire en super. Working on a Dream est correct, recèle même quelques beaux éclats, mais n’apporte rien de décisif au corpus springsteenien. Après une série d’étapes très politiques, il se recentre sur des territoires plus intimes, évoquant les relations de couple, le travail du temps, la présence de plus en plus proche de la mort.

Outre quelques pop-songs sans envergure, on retient l’ouverture de l’album, Outlaw Pete, un western noir de huit minutes à plusieurs étages, porté par un tapis de cordes épique et lardé d’un harmonica morriconnien. Queen of the Supermarket est une jolie romance populaire, où le narrateur est secrètement amoureux de la caissière de son Franprix. On garde aussi deux très belles ballades en fin d’album – le poignant et grandiose The Last Carnival et la BO du film springsteenien de Darren Aronovksy, The Wrestler.

Depuis quelques années, Bruce est produit par Brendan O’Brien et le problème est peut-être là. Si O’Brien est sûrement un as de la technologie, il est incapable de créer une identité sonore. Longtemps, le rock de Springsteen ressemblait à une Cad De Ville 59 ou une Impala 65, reconnaissable au premier chrome, au premier tintement de glockenspiel. Maintenant, il fait du General Motors mondialisé, à peine différent d’une Opel ou d’une Toyota. Bien sûr, ça roule toujours, c’est efficace et confortable, mais la poésie a disparue, le twist qui rendait son classicisme “différent” n’est plus là que par flashes trop fugitifs..

 
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