Au secours, le Boss est de retour

00-04-1992 Rock & Folk par Philippe Manœuvre

couvertureBruce Springsteen ? Je n'ai jamais été fanatique de votre Bruce Springsteen. Eh, prenez ça du Manœuvre en personne : c'est déjà assez coton de bosser quatre-vingt-quinze heures par semaine et de s'appeler Manœuvre ("Comme un manœuvre, etc."), en plus tu rentres chez toi le soir et t'écoutes, euh, le Patron ? Parce que c'est ça, le surnom de votre mec Springsteen, le Patron, zeuboss. Mais des patrons, moi monsieur, je vois que ça toute la journée, la preuve, je suis Manœuvre ! Donc le rock gospel de votre Bruce Truc Chouette m'a toujours plutôt fait marrer. A l'exception de Bob Seger, en fait, tous ces singersongwriters, comme dirait le poète, me font copieusement rigoler. Quelle bamboula ce serait, le rock, sans cette brigade des chemises à carreaux! Imaginez : un monde sans Huey Lewis, ni John Cougar Mellencamp, ni John Fogerty, ni Bryan Adams... Bref : un monde sans patrons ! Demandez à Joe Strummer ce qu'il en pense. Oui, en fait, pendant des années, je me suis moqué, gaussé. Surtout que si on voulait du rock newyorkais, on avait les Dolls, Lou Reed, les Heartbreakers et les Ramones, ça c'était un truc de de gauche, un truc qui fleurait bon le kérosène et l'autoroute à trois voies, celle qui descend sur Miami... Ça c'était des gens qui chantaient des chansons qu'on pouvait écouter sur l'autoroute, pas des chansons qui parlaient bêtement bitume, tarmac et bande jaune ! Comment ils appellent ça, à Manhattan ? Les "bridge & tunnel" people. Ben, Bruce leur écrivait de petites chansons FM sur mesure. "Cadillac Ranch", "Working On The Highway", "Pink Cadillac" : c'était de l'obsession, au secours !

Et puis, j’ai lu quelque part que Springsteen était un vrai poète urbain, un genre de Kerouac naïf, un génie inconscient, un grand homme de lettres beat comme Corso, Pelieu, Ginsberg, voire Rare Leroy Bibbs. Ça, ça devenait carrément intriguant. Armé de cent vingt balles, j'ai donc fait carrément l'emplette d'un de ses disques, si, si, vous savez, celui avec le drapeau américain et les fesses du Boss... Et là, pile, au hasard, je lis un couplet de "Darlington Country" : "Sha la la, sha la la la, sha la la la (Repeat Chorus)". Effectivement, Kerouac l'avait pas vu venir, celle-là. J'ai revendu l'album dans la semaine, coup de bol, il semblait y avoir forte demande du côté des Puces de Saint-Ouen, même que je l'ai échangé contre une réédition japonaise d'un des meilleurs Lynyrd Skynyrd, "Gimme Back My Bullets", bon sang, quel disque fantastique, c'est là-dedans que Van Zant chante : "Je bois assez de whisky/ Pour mettre à flot un torpilleur..." Vous êtes allés au concert ? Moi aussi. Génial. On aurait dû en faire plus, tout de même, sur Lynyrd... Mais je m'égare, ou plutôt non. Comme j'étais donc — et jusqu'à une date très récente — absolument et totalement réfractaire au bosse, pardon, au Boss, voilà que des copains bien intentionnés me resservent la vieille scie que vous avez vous aussi dû entendre près d'un milliard de fois : Ouais, mais nan, t’as tort, t'as tort, t'as tort, le Boss, faut le voir en concert. C'était à la Courneuve, je m'en souviendrai toute ma vie, on était parqués dans un enclos bourré de gens importants, il y avait même le chanteur (?) Renaud qui sanglotait de joie, moi j'ai pensé crever d'ennui pendant le set acoustique de deux plombes, en fait je suis allé au bar, je me suis mis à picoler ferme, ruinant ma réputation de grand garçon sympathique, hurlant des injures aux springsteeniens de base qui sont tout de même très gentils (on me ferait un barouf pareil pendant un concert des Stones, ça serait Altamont !). Arrivée des courses : il semblait que le concert du Boss avait pas été ce jour là au top niveau (comme par hasard), mais qu'il aurait fallu le voir en son habitat naturel, genre Madison Square Garden, voire même descendre au fin fond du trou du cul du monde, du côté d'Asbury Park. Et puis quoi encore ?
Considérant l'affaire aussi définitivement enterrée que Jim Morrisson, j'avais carrément tout oublié de Truce Brillcream jusqu'à ce que sorte l'album de la révélation : "Tunnel Of Love". Et là, un truc qui trompait pas : les fanatiques du Boss, les crétins qui s'étaient usé la santé à se la donner sur le coffret cinq disques en public, soudain, croyez le ou non, les voilà qui faisaient un peu la fine bouche... Paraîtrait que le sacrosaint "Patron" avait eu comme qui dirait un gros chagrin, une dislocation de son mariage avec une top-modèle et qu'il en était resté tout diminué. Finies, les ambiances de foire piquées à Phil Spector avec tous ces grelots, ces clochettes, ces flonflons ! Finis, les braillements de beauf ' cent pour cent américain en rut ! Dégonflé le Rambo des palissades ! Le Bruce avait pris des coups. Une baston terrible. Déjà sur la pochette, il faisait la tronche, en tout cas, il faisait moins son bar tabac. Et puis changement de look. Il nous la jouait désormais carrément élégant. Lui, le roi des tee-shirts troués, il apparaissait désormais dans un registre modal cool, visage buriné, marqué (comme le Bobby qui vient de filer la moitié de son pognon à une pinup bien gaulée, sauf que maintenant le roulé c'était lui), on sentait que ça faisait chérot, mais derrière, on voyait qu'il assurait encore la décapotable, la plage, et malgré sa cheutron, c'était comme une promesse de ciel bleu. Un tas de fans (six millions de par le vaste monde) ont acheté le "Tunnel De L'Amour" bille en tête, un peu comme quand tu vas pointer le matin, tu demandes pas à écouter ta journée avant, mais c'est sûr que ça n'a pas fait le massacre de "Born In The USA". Paraît qu'aux States, justement, les DJs renaudaient et renâclaient au moment de passer "Walk Like A Man" ou "Tunnel Of Love". Trop désespéré, pas assez joyeux, trop triste... Je vous résume le premier épisode : donc au moment où tout le monde lâche Bruce Springsteen, au moment où les gars qui on vu la tournée US reviennent du pays le; yeux effarés (C'était... beuh... un vrai tunnel), voilà que le Manœuvre se prend d'affection pour le Boss ! Qui se révèle un gars touchant, morose, sinistré... Bref : un chef-d’œuvre américain en péril. En tout cas dans le disque, c'est pas ça, puis le voila devenu un compositeur, beaucoup plus sobre, plus rentré, moins artificiel. Dans cet album, enfin, Springsteen semble se réveiller et comprendre que sa vie est un chambard total, un enfer absolu, un ratage complet. Et, là-dessus, Springsteen fait ce don même moi je n'aurais pas osé rêver : il me les voiles. Pfuit, envolé ! Disparu ! Mais pas pour tout le monde. Plus le boss jouait à la Greta Garbo, plus le réseau des fans s'épaississait, plus le filet se resserrait. Avec trois magazines de fan club sur le râble, il pouvait essayer de jouer les filles de l'air sûr que ça serait pas de l’apple pie de semer des pros comme nous ! Il y avait une équipe anglaise, les gars de chez Badlands (voir encadré), deux Françaises imparables (Emmanuelle et Nathalie) et puis les Ricains, organisés fallait voir comme, un vrai réseau mondial : le Bruce, il pouvait pas donner des graines de pilpil au canari sans qu'on le sache. Alors s'il lui prenait la fantaisie de taper le bœuf du côté de Prescott Arizona ou de taquiner la bande vierge pour coucher une nouvelle chanson intitulée "Soul Driver" avec Jeff Porcaro à la batterie, pensez qu'on était au parfum... Evidemment, plus le temps passait, plus ça prenait des ampleurs de dictionnaire, cette affaire. Pensez, cinq ans de filature. Cinq piges au cul du boss. M'enfin, voilà tout, tout, tout ce qu'a fait le Bruce entre la sortie de "Tunnel Of Love" et celle des deux nouveaux albums, "Human Touch" et "Lucky Town".

1987

"Tunnel Of Love" sort le 10 octobre. Mais l'année 87 finit mal. John Hammond, qui avait signé Springsteen chez CBS (et découvert également Bessie Smith, Billie Holiday et Bob Dylan) meurt. Bruce va à son enterrement le 22. Il y chante d'ailleurs une chanson de Dylan, "Forever Young". Emotion. Pour chasser ces noirs nuages, le Boss réunit le E Street Band qui donne son concert d'Halloween le 31 dans le New Jersey. Pour la première fois, des auditeurs fous de joie entendent les morceaux de "Tunnel" en situation de concert. Bruce chante aussi "Born To Run" en version acoustique. Le 6 novembre, jam session dans une école de sa bonne ville de Ramson, New Jersey. Il chante "Lucille", "Carole" et "Twist And Shout" avec un groupuscule local. "Vieux, fallait le voir pour le croire..." Le 20 novembre, Springsteen déboule au célèbre club Stone Pony et, là encore, "Carole", "Little Lapin Lu" sont jammés avec le groupe du guitariste local, Bobby Bandiera (qui avait un temps failli remplacer Miami Steve dans le E Street Band jusqu'à ce que Bruce lui préfère Nils Lofgren). Le 13 décembre, Bruce sur la scène du Madison Square Garden, avec Lou Reed, Billy Joël et James Taylor, participe à un concert de charité pour les enfants sans abri. Le 25 : Noël. Bruce appelle son batteur Max Weinberg. Message : "Tiens-toi prêt, Max. On va tourner..."

Interrompant six semaines de répétitions, Bruce nous fait la surprise de participer au gala annuel du Rock'n'roll Hall Of Fame où il délivre un joli speech sur Bob Dylan (voir "Bruce Parle"). Le 25 février, le Tunnel Of Love Tour commence à Worcester qui, comme chacun ne sait pas, se trouve dans le Massachussetts. Gassian est là. Bruce joue trois heures seulement (!) et ne fait pas "Thunder Road" (les vieux de la vieille sont très inquiets)... La tournée américaine dure jusqu'au 23 mai. Gaillard, Bruce s'en prend certains soirs à Bush, refuse de rencontrer Oliver North et dédie deux chansons à son papa, Doug Springsteen, qui est venu assister au concert de San Francisco. Certains soirs, Peter Gabriel et Sting sont repérés backstage : ils sont venus parler au Boss de la tournée Amnesty. Le 2 juin, Bruce et Bono écument les bars de LA, ivres morts. Un barman interrogé par les feuilles à scandales décrète : Le Boss va mal, sa femme veut pas lui donner d'enfant... Le 11 juin : début de la tournée européenne à Turin. Le 20, le terrible tabloïd anglais "The Sun" se déchaîne en publiant une photo prise au téléobjectif à Rome : on distingue le chanteur de "She's The One" roulant un patin à sa choriste, Patti Scialfa, au bord d'une piscine italienne. Légende du "Sun" : Cette photo pourrait coûter au Boss soixante-quinze millions de dollars ! Jaloux, le "Daily Express", rival du "Sun", interviewe Patti Scialfa par téléphone. Elle déclare : Bruce est fabuleux. C'est le Boss ! (?). Pendant la partie britannique de la tournée, les révélations pleuvent. La fortune du Boss tiendrait dans une fourchette entre sept et cinquante millions de dollars... Sa femme depuis juillet 85, Julianne Phillips, n'aurait droit qu'à dix-huit millions de dollars en cas de divorce... Elle aurait signé avant le mariage un contrat lui interdisant de tirer un livre de sa vie amoureuse avec le Big Boss Man, etc.

Le 19 juillet, Springsteen joue à Berlin-Est devant cent cinquante mille communistes qui bientôt ne le seront plus. Compte rendu du "Sun" : Il a enlevé son alliance ! Le 23 juillet : Bruce tombe sur un guitariste ambulant qui joue "The River" dans les rues de Copenhague. Il lui emprunte sa guitare et chante "Dancing In The Dark" en duo avec le troubadour stupéfait. Un touriste filme tout ça en super8 et revend la bande à la télévision danoise. Fin de la tournée le 3 août, à Barcelone. Le 1er septembre : rumeurs de divorce, conférence de presse Amnesty à Londres. Concert le 2 à Wembley : Bruce refait ses grands hits et le saxo Clarence Clemons occupe à nouveau le centre de la scène. 15 septembre : duo avec Sting sur scène à Paris. Les fans tremblent. Sponsorisée par Reebok, la Tournée Amnesty International a joué pour plus d'un million de fans traversé les Etats-Unis, l'Europe,'l'Inde, l'Afrique, (au Zimbabwe, Bruce achète quinze cassettes de musique locale) et s'achève à Buenos Aires le 15 octobre. Le 26 novembre, Bruce passe Thanksgiving chez ses vieux parents. Tard dans la nuit, il fait le mur et rejoint son pote Southside Johnny qui passe au Stone Club. Les deux garçons chantent "In The Midnight Hour", "Little Queenie", et tout le tremblement. Mais Bruce garde un profil bas. Le "Sun" annonce à ses lecteurs que tout est fini avec Patti (parce qu'elle a demandé une augmentation).

Janvier 1989 : Bruce et Patti en studio. Rumeurs : est ce pour son album solo à elle ou pour ses démos à lui ? Les fans flippent. Le 18, au Rock'n'roll Hall Of Fame, Bruce chante en hommage à feu Roy Orbison puis bœuffe avec messieurs Jagger & Richards sur le thème "I Can't Get No Satisfaction". Les piratiers sont sur les dents. Bruce aussi : en plus du divorce, deux anciens roadies, Mike Batlin et Doug Surphin, traînent leur ex Boss en justice. Raison : ils ont été virés sans indemnités, on leur doit des sous, on leur a fait des retenues sur salaire pour avoir accidentellement abîmé le canoë du Patron... Un juge du New Jersey refuse les dommages et intérêts pour "dommage mental" et repousse encore le jugement. Les roadies vendent leur histoire à la presse à scandales. Bruce visite Rubber, le bar de Mickey Rourke à Hollywood, et chante avec Patti "CC Rider". "Le Sun" annonce : Mickey sera le témoin au mariage ! Ennuyé par le studio, Springsteen met sur pied une tournée secrète des bars américains.

Tout l'été, il monte sur scène un peu partout, boit moult Heineken, et quelquefois même des vodkas (oh ! oh ! life in the fast lane!). Les chansons bizarres interprétées cet été là : "Loving You" d'Elvis, "Gloria", "La Bamba", "Get Back", "With A Little Help From My Friends", "Long Tall Sally". Le 13 septembre, en un marathon de quarante huit heures non-stop, Bruce enregistre "Viva Las Vegas" pour un album hommage au King, "The Last Temptations Of Elvis" qu'assemble le "New Musical Express". Il joue avec lan McLagan, Bob Glaub et Jeff Porcaro. C'est le 23 septembre que Bruce fête ses quarante balais dans un club du New Jersey avec Miami Steve et certains du E Street Band. Une fois n'est pas coutume, Bruce se dédie "Glory Days" à lui-même.

Le 29 septembre, Bruce arrête sa Harley à Prescott, au fin fond de l'Arizona. Après une discussion avec une barmaid tatouée, nommée Brenda, il rejoint le groupe maison sur scène et démolit "Don't Be Cruel". Bœuf maousse. Le saloon s'emplit de fans, c'est l'émeute et Bruce s'échappe de justesse, filant sur la Highway 49, la poignée de sa Harley argent et bleue fermement dans l'coin. ' Un mois plus tard, Brenda est hospitalisée : cancer de l'estomac. Il lui faut cent mille dollars. Le management de Springsteen prend tout en charge et paie la note! Mais la presse américaine commence à demander haut et fort (par écrit donc) si le E Street Band ne serait pas bel et bien dissout. Le bureau de Jon Landau restant muet une fois de plus, un par un les musiciens confirment ne plus être sous contrat. Fou de rage, Clarence Clemons démarre une carrière solo. Bruce, lui, passe l'hiver en Californie.

1990

Patti est enceinte ! Le couple est fou de joie ! C'est officiel et c'est le 15 janvier ! Le 17, surprise, surprise, Bruce assiste au Rock'n'roll Hall Of Fame. Il est à la même table que Sting et tape le bœuf sur "Long Tall Sally" avec son héros, John Fogerty. Commentaire d'un assistant : Un massacre, un vrai de vrai. Patti connaissait Steve Jordan depuis les sessions de "Talk Is Cheap", l'album de Keith Richards sur lequel elle avait chanté. Bruce et Steve Jordan travaillent ensemble quinze titres de démo. L'un au moins fera surface sur "Human Touch" : "Rell Of The Dice"1 mais Steve Jordan repart produire les Fabulous Thunderbirds et arrête là l'expérience avec le Boss. En février, Bruce participe à un concert de charité au profit de la forêt amazonienne avec Sting, Paul Simon, Don Henley et Jackson Browne. Les tickets coûtent entre mille et cinquante mille dollars. Le concert terminé, tous foncent bœuffer avec Joe Walsh au China Club. Nouvelle rumeur : Sting composerait avec le Boss ! Les fans frôlent l'attaque cardiaque. Heureusement, le 1er mars, Bruce rejoint Tom Petty et Bob Dylan sur la scène du Forum d'Inglewood. Jam session. Il y a des choses connues : Bruce enregistre avec David Sancious (clavier de Peter Gabriel) et Bill Payne de Little Feat serait dans le coup ! Le procès des roadies continue son bonhomme de chemin. Leurs avocats demandent un accès total aux livres de compte de Springsteen. Le juge refuse.
Juin : Bruce autorise 2 Live Crew à sampler "Born In The USA" pour en faire "Banned In The USA", vibrant hymne anti censure. Le soleil tape sur LA et un bébé paraît en juillet : c'est un garçon, Evan James. Pour les fans, c'est la douleur : Il va profiter de cette naissance pour sortir du studio ! Le groupe autour de Bruce se compose désormais de Randy Jackson à la basse, Jeff Porcaro (batterie) et Roy Bittan (claviers), le Boss se chargeant tout seul des guitares. On compte déjà trente deux chansons enregistrées et non mixées. Sam Moore, (de Sam And Dave) vient chanter un duo avec Bruuuce. Déjà, le "Billboard", bible des pros, avance que le disque sortirait à la mi 91. Et un bonheur n'arrivant jamais seul, Springsteen donne deux concerts (16 et 17 novembre) au Shrine Auditorium de LA. Bruce interprète "Highway 61" pour des fans fous de bonheur et balance également une tripotée (cinq) de chansons inconnues qui selon les assistants font vachement penser à U2... Trois paraîtront sur l'album "Human Touch" : "Soul Driver", "Real World" et le gaguesque "57 Channels". Mais la rumeur affirme aussi que Bruce et John Landau débattent jour et nuit sur les titres à mettre dans l'album, le manager voulant un disque "radiomical", Bruce un truc plus carrément "radical". Une tournée est elle ou non prévue ?... En tout cas, auparavant, Bruce va aider Nils Lofgren avec son projet solo ("Silver Lining", qui sortira sur Ryko). Les fans, eux, finissent l'année désespérés : toujours pas d'album officiel du Boss dans leurs petits souliers...

1991

L'éditorial du premier "Backstreet" de 91 commence par ces mots : Courage les gars, maintenant il faut attendre. Il faut tenir. Bruce a sorti six albums studio en quinze ans. C'est une espèce de record... minimal. En plus les fans craignent : pourvu qu'il n'efface pas des bandes ! Pourvu qu'il garde bien tout, comme Bob Dylan, pour faire un coffret un jour ! Le 24 janvier, Bruce monte sur la scène du Rum Runner (New Jersey) et jamme avec The Upstage. En Grande-Bretagne, "The Sun" frappe à nouveau : Springsteen aurait cette fois... écrasé le toutou d'une ex James Bond Girl, Maryam d'Abo, sous les pneus de sa Bossmobile ! Tout aussi grave, le "LA Times" demande à ses lecteurs si Bruce va enfin épouser Mademoiselle Patti. C'est au milieu de ces questions métaphysiques qu'éclaté la Guerre du Golfe. MTV cesse de diffuser le clip de "War" pendant la période des hostilités, le remplaçant par "Fire". Pas plus qu'une victoire de Saddam, personne n'ose alors imaginer que l'album successeur de "Tunnel" puisse ne pas sortir en 91. En plus déjà, des insiders bien informés décrivent le disque : Funky, torride, très r'n'b, comme rien de ce que Bruce a/ait à ce jour. En l'absence de nouveau matériel, on recense les pirates : il y en aurait plus de cinquante en compact-disc... Certains étant d'ailleurs simplement des disques d'interview (à ce stade, la vérité historique nous oblige à rappeler que Bruce n'a pas parlé à un journaliste depuis plus de trois ans). C'est donc avec moult frissons qu'un reporter japonais assiste à une rencontre Springsteen / Crowded House dans un studio fin mars (Bruce décrétant notamment : Comment ça va, les gars, j'adore votre disque !). En mai, Springsteen rejoint Jerry Garcia, Pete Townshend et Aretha Franklin dans le comité directeur de la Foundation du Blues. Puisque le Boss ne donne pas de nouvelles, la télé américaine va à la rencontre de ses fans et diffuse un reportage d'une heure dans lequel on découvre que c'est un dénommé Lance Larson qui a offert au Patron la casquette de baseball rouge immortalisée sur la pochette de "Born In The USA"...

Le samedi 8 juin, Bruce, qui conduit une Corvette 58 et ressemble de plus en plus à Robert de Niro, épouse sa Patti d'amour dans leur propriété de Beverly Hills. Seuls quatre-vingts invités sont présents. Clarence Clemons et Nils Lofgren n'ont pas pu venir. Dommage : la fête dure jusqu'à l'aube, avec un max de soûl music. En juillet, Springsteen participe à l'album de Southside Johnny, "Better Days" (EMI). Un bonheur qu'il n'avait pas accordé à ses loyaux fidèles depuis dix ans ! Il chante sur deux titres ("It's Been A Long Time" et "All The Way Home", mais surtout en signe un, "All The Way Home", probable chute des sessions "Tunnel Of Love".

Le 4 août, Bruce réapparaît dans son New Jersey natal et jamme au club The Shore avec le groupe The Outery. Titres expédiés : "Ain't That A Shame", "People Get Ready", "Mot Fade Away", "Stand By Me" et "Travelin' Band"... Le 26 septembre, sur la scène du Stone Pony Club, le Bruce participe à l'enregistrement du vidéoclip de Southside Johnny. Il fait les chœurs (et plus) avec Miami Steve. Pour tuer le temps entre les prises, les garçons donnent l'équivalent de deux concerts. Le procès avec les roadies traîne en longueur et Bruce profite de son passage sur la Côte Est pour régler enfin cette affaire de plaideurs en versant aux plaignants une somme d'argent évaluée à cinq cent cinquante mille dollars. En échange, bien sûr, les roadies retirent leur plainte. Du côté de Sony Music, les problèmes de direction sont résolus par le départ du PDG Walter Yetnikoff (accusé d'ententes louches avec les forces mafieuses dans le bestseller "Hit Men"). Le bureau de Springsteen annonce illico que l'album nouveau pourrait désormais voir le jour début 92 et dans la foulée refuse à Bette Midler l'autorisation de reprendre "Pink Cadillac". Furax, la Bette donne son opinion sur le Boss dans "Vanity Pair" de décembre : Quel con ! Un ingénieur confirme : Après la naissance de son fils, il a tout foutu à la poubelle et s'est mis à enregistrer une profusion de nouvelles chansons ! L'album tant attendu a désormais un titre : "The Real World". L'année finit en beauté, puisque Patti et Bruce voient arriver sous le traditionnel sapin une seconde petite boule de joie, une fille cette fois, qu'ils prénomment Jessicae Rae.

Exceptionnellement, Bruce ne se rend pas au Rock'n'roll Hall Of Fame. Chez Sony Music, on a une théorie là-dessus : voulant ajouter une chanson à l'album "Human Touch", Springsteen s'enferme dans son studio avec quelques musiciens. En huit semaines de sessions (un record, si l'on calcule que Patti met neuf mois pour faire un bébé), le Boss se retrouve à la tête d'un second album. Sony Music trouve les deux disques "cohérents et indissociables". Rappelons pour mémoire que les Guns N'Roses ont accouché des deux volumes de "Use Your Illusion" dans le scepticisme général et prouvé avec Geffen qu'en doublant le risque on pouvait tripler la mise. Les disques sortiront le 31 mars aux States (le 26 en Europe, cinq jours plus tôt pour éviter les imports) mais Columbia a limité les précommandes. Stupeur ! Alors que des millions d'albums de Michael Jackson, de Hammer et de Guns N'Roses avaient été mis en place, les Springsteen seront mis en vente... limitée. Pas plus d'un million cinq cent mille de chaque disque, affirme le "Billboard". Le but : éviter de saturer le marché (comme Hammer). Mais les marchands de disques affichent un immense optimisme : si "Tunnel Of Love" n'a débité que six millions d'exemplaires dans le monde (une misère par rapport à "Born In The USA", qui avait dépassé la barre de vingt millions planétaires) les deux nouveaux Springsteen bénéficieront d'un soutien massif des radios américaines (pour lesquelles l'album "Human Touch" semble effectivement avoir été conçu, réalisé et imaginé, il y a même Bobby Hatfield, ex Righteous Brothers dans les chœurs). Et puis il y aura des concerts, aucun problème : Bruce reste le Boss, le supervendeur de tickets, "le gardien du fortin", comme disait Keith Richards. La fièvre monte de minute en minute à mesure qu'approche l'heure de la sortie de l'album. Du côté de chez "Backstreet", le fanzine hyperpro qui nous a inimaginablement aidé à rédiger cette chronologie, on angoisse Elvis était plus accessible, affirme Charles Cross, le rédacteur en chef. Comme pour confirmer ces craintes, les gens de Sony Music ont annulé plusieurs séances d'audition des albums pour les forces de vente (par peur de fuites du côté de la presse ou des radios). "Human Touch" est donc l'album radiomical qui doit bien faire plaisir au manager Jon Landau, album qui enchantera enchantera les programmateurs, disque qui ne dédaignerait pas séduire MTV (un clip de la chanson "Human Touch" a été mis en boîte à la Nouvelle Orléans par le réalisateur Meirt Avis), mais Sony y croit tellement fort que l'album bénéficiera surtout — c'est une première aux USA — d'une énorme campagne de pub télé. Quant à "Lucky Town", bourré de guitares, avec des parties de slide pas dégueu' ("Soul Of The Departed"), c'est l'album maison, le chouchou du Patron, enregistré à la maison et produit par le Boss tout seul avec une simple "collaboration" de Jon Landau. La suite est claire. Marié, papa, enfin émancipé de son ami rockcritique devenu son manager et son mentor, Springsteen, rusé comme personne, offre à son public deux produits. Celui que son management voulait et a obtenu, celui que lui voulait faire, et on va pas se gêner. Quel est le disque qui va faire craquer les masses ? Billy, un pote DJ de Fresno, qui a entendu les deux, ne va pas chercher si loin : C'est son meilleur taf depuis dix piges... Incroyable ....je veux dire, radiomical ! On va le jouer ! Le problème c'est : est ce que les mômes qui n'ont pas connu la "Born In The USA"mania vont acheter ?... Ça j'en sais rien. C'est pas le problème pour Bruce... Les gamins ! Les kids... Mais nous, on va le matraquer ! J'veux dire, pan dans la cible... Le 4 mars 92, les radios américaines recevaient les premiers exemplaires des deux nouveaux 45T. Le 26, l'album arrive. La suite de l'histoire de Bruce Frederick Springsteen, c'est vous qui l'écrirez. Car... Au secours, le Boss est de retour !

PHILIPPE MANŒUVRE!

Avant première

Human Touch (extraits)

Human Touch (le single): Symphonie en trois parties. Premier mouvement: Roy Bittan tisse sa toile d'araignée et Randy Jackosn donne le pouls. Cardiaque. Deuxième mouvement: dans le de grande solitude, Brucie recherche un peu de chaleur humaine. Littéraire. Troisième mouvement: après le break, la montée dramatique exploxe en mille sentimmements. Clochettes! Sève! Rédemption!

Long Goddbye: Intro raunchy-FM pour un binaire des familles. Catapultée par une batterie sauvage, la voix du Boss tonne pour fire taire la guitare qui fore, fore et fore sans cesse. Et la voix du Boss gagne!

Lucky Town (extraits)

Better Days: Les fans hardcore et les officines officielles (Jersey Contingent, Stone Pony Veterans, Asbury League, etc) von adorer. Du pur Bruce: rage en gorge, guitare barbelée et souffle épique à décrner les bufffles.Hey, sortez la Bud, Bruce nous fait "The River II" !

Soul Of The Departed: Même vein que "Better Days" pour un album qui s'annonce special puristes. Beat plombé, slide bien grasse et charge de la briguade harmonica, tout ça baignant dans un gors boucan bien swamp.

1: coquille du texte

Bruce parle !

Il parle rarement, c'est un fait, mais il lui arrive d'ouvrir la bouche pour s'épancher dans le giron des hommes de "Rolling Stone", "Spin", "Musician", "Rock&Folk", ou alors carrément de son biographe attitré, Monsieur Dave Marsh, qui a publié sur le Boss deux forts volumes de cinq cents pages chacun (le président Reagan lui-même n'a pas eu droit à tel traitement, ont fait remarquer les Américains jaloux).

Je n’ai jamais cru que l'essence du rock’n’roll était le culte de la personnalité

Lennon a dit : "Le rêve est fini, et c'est vrai, mais rien ne nous empêche de le garder dans un coin de notre tête, ce rêve "

Dans les mauvais jours, la gloire, c'est comme de rentrer a pied du boulot et de découvrir qu'il y a personne à la maison...

Quand J'ai enregistré "Born To run", Je m'étais dit : "Faisons le meilleur disque de rock'n'roll de tous les temps".

Au début, Je me disais : "II faut que je trouve des trucs humains en moi, que je les transforme en musique pour aider les gens à garder leur humanité"

Je réécoute des vieux trucs des années cinquante, Hank Williams, du rockabilly, quelle inspiration fabuleuse !

Je suis toujours heureux quand je joue avec mon groupe

Depuis les années soixante-dix, depuis Watergate, on se fout de nous. On nous trompe, on organise ça bien, en plus. Et du coup, qui va condamner le gars qui vend du crack au coin de la rue ?

J'ai fait "Nebraska » en état de crise spirituelle.

J’essaie d’écrire mes chansons du point de vue d’un enfant, un peu comme le film "La Nuit Du Chasseur"

Je suis issu d'une famille... Rien ne nous a jamais manqué... et je remercie ma mère pour ça

Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui n'aimait pas son boulot et qui était content de sa vie

J'ai commencé en 64... C'était le résultat de milliers de décisions prises depuis mes quinze ans. Mon feeling : "pourquoi ne pas traverser le désert et tenter d'escalader la montagne ?"

Quand j'ai sorti "Nebraska", je n'y croyais pas. Je me disais "Non, pas moi… je suis le type avec la guitare"

"Born to Run" avait imposé l'idée d'un certain optimiste qu'il fallait ensuite tester face à la réalité.

Avant "Born to Run", je n'avais pas de public. Enfin presque pas.

Quand on commence un disque, on repart de là où on s'était arrêté.

Un groupe de rock est un service public.

A la sortie de "The River", une gamine est venu me voir et m'a dit: "C'est un disque mou". Et je comprenais exactement ce qu'elle voulait dire.

En fait, je suis un type assez discret. Et avec Nebraska, j'ai rétabli ma vie privée...

J'ai écrit "Born in the USA" avec une idée derrière la tête.

J'aime les Beach Boys.

On ne peut plus donner de mot d'ordre massif, valable pour tout le monde. On peut juste raconter son histoire.

A vingt-quatre ans, je me suis dit: "Finies les chansons de bagnoles et de nanas". Et puis soudain, je me suis aperçu que Chuck Berry n'avait jamais rien écrit d'autre!

Quand j'ai entendu le remix dance de "Glory Days" par Arthur Baker, j'ai trouvé ça bien fun. Ce type a une imagination illimitée.

Non, je n'ai pas hérité de la couronne rock. Comment pouvez vous dire ça? Je suis toujours fan de Dylan, un fan des Rolling Stones!

Miami Steve me manque, oui, c'est dur sans lui!...

Cette année, je crois que je vais m'inscrire sur les listes électorales et voter. Certains soirs, j'arrive à pousser le Cri, comme ce soir dans le medley, et ce Cri-là, si vous l'avez entendu, était l'unique raison du concert...

En fait, au début du quintuple album live, on voulait juste enregistrer la chanson "War" en public pour en faire la face B d'un 45T.

La vois de Bob me fait frissonner et me fait peur, elle me fait me sentir complètement innoncent. Elvis a libéré nos corps, Bob a libéré nos esprits.

"Born to run": j'ai dis ans de plus, mais la chanson est grande ouverte. Je peux continuer à la chanter de toutes mes forces. Je ne me sens pas ridicule. Je n'ai pas l'impression de faire sembant.

Ca déçoit à chaque fois que je le dis, mais quand ça me prend, j'attrape juste ma guitare et je cherche des idées. Je note ce qui me vient.

C'est super, les synthés. C'est comme tout, tout dépend de ce qu'on en fait. C'est ça qui fait la différence. Si tu t'en sers raisonnablement, c'est un super outil.

Merci à Philippe!

 
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