Comment Springsteen est devenu la voix de l’Amérique

15-01-2009 Paris Match par Benjamin Locoge

Musique. Alors qu'Obama prend les rênes des Etats-Unis, le chanteur sortira le 26 janvier son nouvel album. Celui qui, depuis 1973, défend le rêve américain, la grandeur d’âme de sa nation ou la richesse de son peuple a enfin trouvé son héraut.

springsteen avec Obama à Cleveland

Le 2 novembre 2008, Springsteen est à Cleveland avec sa famille pour soutenir Barack Obama. De g. à dr. : son aîné Evan, sa fille Jessy, son cadet Sam, son épouse Patti Scialfa, Michelle Obama et ses filles, Malia et Sasha.

Tout a commencé sur un malentendu. En 1984, un tube flamboyant a envahi les ondes américaines. Son titre ? « Born in the USA ». L’interprète, Bruce Springsteen, un rocker musclé, portant des boots en cuir et un jean délavé. Sur la pochette du disque, le drapeau américain. On le voit de dos, tenant une casquette. L’amalgame est évident : Springsteen loue sa patrie, l’Amérique de Reagan, ses années fastes, ses fêtes somptueuses à la Maison-Blanche, l’argent qui coule à flots.

Le président-acteur est en campagne électorale pour sa réélection. Il s’empare aussitôt de la chanson, au point d’en faire l’hymne de ses meetings. Le rocker n’apprécie guère. La politique n’est pas dans ses veines. L’engagement encore moins. « Born in the USA », se contente-t-il d’expliquer alors, est une chanson sur la souffrance des vétérans du Vietnam, abandonnés par leurs gouvernements successifs. Il refuse d’être assimilé à Reagan. Mais le mal est fait : Springsteen serait un bon soldat républicain. Il ne va pas sur les plateaux de télé prouver l’inverse. Au contraire, il s’enferme dans un étonnant mutisme, lui qui depuis plus de dix ans dépeint les héros déchus des Etats-Unis, tout en gardant la foi dans le rêve américain, celui qui permet de croire que l’on peut partir du bas de l’échelle sociale pour arriver tout en haut. N’est-ce pas d’ailleurs ce qu’il est en train de vivre ?

Un fils du peuple fan d’Elvis?et?de?Dylan

Springsteen est né en 1949 dans une famille « prolétaire ». Douglas, son père, est chauffeur de bus, Adele, sa mère, travaille comme secrétaire à Freehold, dans le New Jersey, à une heure de route de Manhattan. La politique n’est pas leur centre d’intérêt principal. « Un jour, j’ai entendu à l’école les mots “démocrate” et “républicain”, racontera le musicien au “Figaro” en 1998. En rentrant, j’ai demandé à ma mère : “Nous sommes démocrates ou républicains ? Elle m’a dit : “Démocrates. – Et pourquoi ? – Parce que nous sommes des prolos.” Voilà la seule déclaration politique qui ait jamais été prononcée dans ma maison. »

Le quotidien de ses parents l’effraie, c’est dans la musique qu’il trouve son salut, lui qui a eu un choc en découvrant Elvis Presley dans le « Ed Sullivan Show » en 1956. « Moi, j’ai fait une drôle de chose, dira-t-il au “Figaro”. J’ai pris la voix que j’aurais aimé qu’ait mon père, j’ai mis ses vêtements de travail et je suis parti faire mon boulot comme ma mère faisait le sien. » Dès 1965, il forme son premier groupe, les Castiles, dont les notes ne se feront jamais entendre au-delà des clubs d’Asbury Park où il réside à cette époque.

Et Bruce devient tout-puissant !

Mais une rencontre fondamentale va bouleverser sa carrière. Le critique de rock Jon Landau, ancien universitaire de Boston, devient son manager en 1974. C’est ce dernier qui lui offre les romans de Steinbeck ou les disques du Velvet Underground. Lui encore qui lui donne les clés de sa réussite. Il le convainc d’écrire sur les soucis du quotidien, sur les rêves inachevés de ses amis. Springsteen se met à raconter dans ses textes le travail de son père ou l’envie de fuir son New Jersey natal.

Une chanson va notamment le propulser vers le grand public. Elle s’appelle « Born to Run » et demeure la clé de son œuvre. Springsteen ne cesse ensuite de devenir le chroniqueur inspiré de l’Amérique. Il l’aime, la déteste, l’analyse, mais jamais ne la condamne. Et rechigne toujours à s’engager politiquement. Toujours en 1998, il déclare : « Je ne veux pas promouvoir des candidats à une élection, car on ne sait jamais ce qu’ils feront ensuite. »

Son nouveau refrain : la politique

Le choc se produit en 2000, avec l’arrivé de Bush fils au pouvoir, puis le 11 septembre 2001. L’ Amérique que Springsteen imagine dans ses chansons depuis plus de vingt-cinq ans s’écroule en même temps que les tours du World Trade Center. Quand il apprend que certaines veuves de pompiers new-yorkais demandent de diffuser ses chansons lors des célébrations funèbres, Springsteen les appelle, écoute leurs peines et leur douleur. Avec « The Rising », paru en septembre 2002, il devient le « panseur » des Etats-Unis. Rarement un album de rock a déclenché une telle ferveur : il s’écoule à plus de 10 millions d’exemplaires en un an. La tournée des stades qui suit le voit triompher avec son E Street Band revigoré. Après des années 90 en berne, Springsteen retrouve sa flamboyance.

Dès 2004, il vole, en vain, au secours de John Kerry. Deux mois avant l’élection présidentielle, il monte la tournée « Rock the Vote », demande aux artistes américains de se joindre à lui. R.E.M., Sheryl Crow, Beck ou les Black Eyed Peas l’accompagnent sur les routes. Mais les foules se déplacent uniquement pour le Boss, le seul rocker que l’Amérique écoute et entende. Un peu comme si, en France, Johnny Hallyday se lançait dans des concerts de soutien à Martine Aubry. Mais pour Springsteen, c’est aussi une manière de lever le malentendu « Born in the USA ».

Il prêche pour Obama jusqu’au dernier jour

Quand le sénateur de l’Illinois doit ­affronter Hillary Clinton lors de la ­primaire démocrate, le Boss n’hésite pas longtemps avant de choisir son camp. « Le sénateur Obama parle de l’Amérique que j’envisage depuis trente-cinq ans, écrit-il sur son site. Une nation généreuse […], un pays concerné par son destin collectif ; un endroit où personne ne vous écrase et où personne n’est laissé de côté. »

Même si la bataille semble gagnée, Springsteen ira chercher les électeurs jusqu’au dernier jour de scrutin. Sans s’entourer cette fois d’une ribambelle de musiciens, mais accompagné de son épouse, Patti Scialfa, il arpente l’Ohio ou la Virginie, interprétant pour l’occasion une nouvelle chanson, « Working on a Dream » (Construire un rêve) ­devenue depuis le titre de son nouvel album. Et une réalité pour celui qui a fini par croire aux lendemains qui chantent : le 18 janvier, c’est lui qui lancera la semaine des festivités liées à l’investiture du nouveau ­président.

 
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