Réactions de rédaction

00-12-1986 Rock & Folk par Philippe Leblond

Le tour de Springsteen en quarante chansons, mis froidement à plat ce coffret pourrait se réduire à cette formule. Il s'agit pourtant d'un projet bien plus ambitieux (mégalo ?), un truc que personne n'avait encore osé tenter : la double volonté d'offrir à la fois un concert dans sa quasi-totalité (3h 20 !) et un Best of de la bête - si les enregistrements vont de 75 à 85, le choix des titres remonte jusqu'à 72. Quelque chose comme le fantasme du concert parfait, de l'œuvre enfin résumée en un lieu unique. On le voit, ce projet insensé ne pouvait tolérer le format riquiqui du double live. Il sera donc quintuple - même si on sent bien qu'il a fallu raisonner le Boss (CBS ?) pour qu'il s'arrête là.
Ce genre d'objet se jugeant autant sur ce qui s'y trouve que sur ce qui manque, il faut maintenant débroussailler. Springsteen sur scène, tout le monde le connaît (ou imagine !), si réussite il y a, elle tiendra essentiellement au dosage - le tri des montagnes d'enregistrements a dû être plus que délicat. En gros : quel est le menu ? Est-ce que le jeu (le prix - entre 250 et 280F.) en vaut la chandelle ? Et pourquoi ?
Quarante chansons, donc. Les sept album studio (Nebraska compris en totalisent soixante-quatre. On en retrouve trente-deux - soit 50% tout rond de l'Œuvre - auxquelles s'ajoutent : quatre reprises (c'est peu), deux titres qu'il avait "offerts" et enfin, seules vraies surprises, deux semi-inédits qu'il jouait uniquement sur scène. Voilà pour le corpus. Où les trois premiers albums et Nebraska sont un peu les parents pauvres de la sélection, Darkness, The River et Born In The U.S.A. trustant vingt titres sur les trente-deux. C'est donc, pour la composition, le Springsteen de la maturité (78-84) qui l'emporte sur celui de la jeunesse (72-78). Partage léonin que l'on retrouve dans le choix des bandes live.
D'abord, c'est "Recorded in the U.S.A.", exclusivement, aucun petit "cadeau" pour le public européen. Manque de moyens techniques ? Public US plus fervent ? Sans doute les deux. Ce qui nous donne : seulement 9 titres de la tournée US de 78, 13 de celle de 80/81 et 17 de la dernière, 84/85 - d'où la "musculation" progressive et constante, chronologiquement bien rendue sur les dix faces, du personnage comme du E Street Band sur scène. On entend les biscotos pousser et ça bastonne de plus en plus fort ! Seule "vieillerie" et unique relique de sa période "barbe et bonnet de laine", celle où Jon Landau découvrit "le futur du rock'n'roll", une version de Thunder Road de 75 qui ouvre le bal. Son clair et irréprochable, public présent (ô combien !) sans être envahissant, Toby Scott et Bob Clearmountain ont bien bossé - même sur les bandes de 78 et 75, époque où Bruce ne pensait certainement pas se lancer dans une telle aventure, le son reste impeccable (rugueux mais net), dépoussiérage réussi. On n'en attendait pas moins.
Mais alors, me direz-vous, il y a TOUT ? Pas exactement. On pourrait certes pinailler sur l'absence de Jungleland, Point Blank ou Downbound Train (et même Dancing In The Dark ! ), mais : d'une part il fallait bien une limite, d'autre part, et on en revient à la fiction du "vrai concert", un concert bien agencé n'enfile pas que les titres majeurs (ou les hits), il faut des poses, une diversité que seuls des morceaux moins connus peuvent apporter. Mais à part ces quelques oublis, TOUT y est. Avec des bonus en prime… Rayon "inédits" : Seeds, un hard-blues rageur, déjà matraqué lors du dernier Tour et Paradise By The C, 100% Jersey, un vieux titre rarement joué sur scène, en version 78, auquel on aurait préféré, à tout prendre, Man At The Top ou Sugerland. Mais bon… Rayon "cadeaux" : étrangement, par artistes interposés, ses deux premiers hits. Because The Night, gracieusement cosigné pour Patti Smith et Fire, offert à Robert Gordon et popularisé par les Pointer Sisters. Tous deux réintègrent, légitimement, le Panthéon. Rayon "reprises" : This Land Is Your Land de Woody Guthrie, Raise Your Hand d'Eddy Floyd, Jersey Girl de Tom Waits en clôture (la foule pleure) et une version incendiée du War d'Edwin Starr, un fantastique boucan-soul à foutre la honte à FGTH qui l'avait massacré dernièrement - avec Born To Run, hi ! Seul rayon vraiment surprenant puisqu'on n'y retrouve pas les reprises "officielles" : Twist & Shout, Quarter To Three, Rave On, etc.
Voilà pour le panorama. Que dire de plus ? Qu'on dirait un vrai concert (il raconte son enfance et tout), que le E Street Band (toutes époques confondues) vaut de l'or, qu'il y a là-dessus dix des cent plus belles chansons de la décennie, que c'est lui ? Malgré son aspect monumental, Live 1975-85 risque de porter un coup fatal (c'est aussi le but) à la production pirate. Seule ombre (technique) au tableau, les DIX faces : ça fatigue le poignet et ça casse l'enthousiasme comme les pubs au milieu du film - si compact il y a, il sera plus praticable. A vous de juger. Du rythme, de la chaleur, de l'émotion en direct.
Et Noël qui revient en ville…

 
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